lundi 30 juin 2014

Easy, Hélène... (1/3)

Salut tout le monde. Ça faisait un bail, hein ? Ouais, je sais. Moi aussi. Une telle absence a beaucoup de raisons. La première c'est que j'ai principalement lu des livres non-fichables. Mon horizon commence à se dégager. Et, pour célébrer ce rapide retour, voici un retour sur plusieurs livres, traitant du même sujet, et que j'ai lus en parallèle parce que le sujet m'intéresse énormément.

Beaucoup ont entendu parler du Sous Commandant Insurgé Marcos. Il était le porte-parole de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN pour Ejercito Zapatista de Liberacion Nacional). Et, à ce titre, il rédigeait nombre de leurs communiqués et ce avec un talent rare. Ils ont été regroupés, en 1996, en deux volumes sous le titre ¡Ya Basta! édité chez Dagorno, pour un total de plus de 1100 pages ne représentant que les quelques premières années des communiqués officiels, classés dans l'ordre de publication (à une exception près, qui est un communiqué conçu pour servir de préface à ce type de recueil). Ces communiqués ont la grande qualité d'être abondamment annotés par des spécialistes de l'histoire récente du Mexique, ce qui permet de replacer les communiqués dans leur contexte et d'inclure une bonne partie de l'histoire de l'insurrection.

¡Ya Basta! tome 1 aux éditions Dagorno, ISBN 2910019330



Avec le sous titre "Les insurgés zapatistes racontent un an de révolte au Chiapas", ce livre rassemble les communiqués de l'EZLN de janvier 1994 à octobre 1994.
Le premier janvier 2014, c'était le 20è anniversaire du soulèvement zapatiste. Le matin du premier janvier 1994, alors que tout le Mexique se réveille avec la gueule de bois d'un nouvel an bien arrosé, une armée d'insurgés, cagoulés, prends plusieurs villes lors d'un coup de force dans l'état le plus pauvre du pays, le Chiapas. Pour remettre les choses dans leur contexte, il faut se rappeler qu'à l'époque:
- un parti politique règne sans partage depuis la dernière révolution sur le pays, les élections étant une étrange forme de plébiscite sans réel enjeu.
- le Chiapas est un petit état montagneux, dont la population est en grande majorité indigène. C'est l'état le plus pauvre du pays avec de très fort taux d'analphabétisme, de pauvreté, de malnutrition, d'exclusion. C'est aussi l'état dont était originaire Emiliano Zapata, l'une des deux figures de proue de la révolution de 1910. Enfin, c'est aussi l'un des états les plus riches en matières premières (dont le pétrole et le café).
- l'ALENA vient d'entrer en vigueur et cet accord est très loin d'être en faveur de la population mexicaine.
- Carlos Salinas de Gortari, le président de l'époque, vient de faire passer un accord révisant l'article 27 de la constitution mexicaine, essentiel dans un pays où le droit à la terre est le sujet d'un très grand nombre de conflits et d'ailleurs de la révolte de E. Zapata. Cet article 27 était un pré-requis de l'ALENA et autorisait la privatisation de terres qui avaient étaient mis en gestion communale pour les paysans (ejidos).
- les enlèvements, emprisonnements, meurtres et tortures d'opposants politiques et d'intellectuels sont monnaie courante.

Dès les premiers communiqués, l'EZLN annonce ses intentions. Ils se battent pour obtenir : une démocratie réelle, la justice, l'accès à la terre, l'égalité, l'accès aux soins et à la dignité. Ces demandes ne bougeront pas d'un pouce au cours de l'année.
L'intérêt de lire ce recueil de communiqués est double.

D'une part, on y voit l'évolution de la situation. Comment survivre dans un conflit armé face à un gouvernement qui n'hésitera pas ? En faisant une utilisation intelligente de l'opinion publique internationale. L'EZLN n'est pas tombée dans les pièges habituels de la plupart des insurrections, c'est à dire réclamer des choses d'abord pour soi ("Tout pour tous. Rien pour nous." est un leitmotiv qui revient sans cesse), de ne s'exprimer que par la violence (l'EZLN convoquera des états généraux qui accueilleront près de 5000 personnes), de refuser les chemins légaux (l'EZLN aidera même les élections présidentielles de 1994 sur le territoire qu'elle contrôle), d'éviter le culte du chef (à part un porte-parole identifié, les zapatistes sont anonymes et son commandement ne s'exprime que par des communiqués) et un réel fonctionnement démocratique ("Commander en obéissant" est le second leitmotiv).
Au fur et à mesure de l'avancée de l'année, on voit l'évolution de la mentalité, les espoirs lors des discussions avec le gouvernement, le souhait d'une issue parlementaire. On voit aussi que l'EZLN a su dépasser le marxisme, en appelant, non au "prolétaire" messianique cher à une certaine extrême gauche, mais à la société civile dans son ensemble, aux gens de bonne volonté, aux intellectuels honnêtes, etc. En fait, quiconque souhaite faire avancer le pays dans une direction favorable à la démocratie et au peuple est le bienvenu pour filer un coup de main. Ils ont aussi su dépasser le guévarisme, en souhaitant unifier toutes les formes de lutte et en déclarant qu'ils auraient préféré ne pas avoir à entrer en conflit armé et aimeraient que les voies légales soient de nouveau ouvertes et privilégiées.

D'autre part, on voit aussi le génie littéraire du SCI Marcos. Il faut le dire, ce type sait grave écrire. Les communiqués sont clairs, droits, précis et directs. Les écrits plus personnels sont drôles, touchants, émouvants ou forts. Certains sont des contes, d'autres des poèmes. On y découvre la vie des enfants zapatistes, des contes et légendes servant de paraboles, des rappels d'Histoire et des statistiques sur le Chiapas. On y découvre l'humanité derrière la cagoule. Et il faut dire que quand on se bat "pour l'humanité et contre le néolibéralisme" il est important que l'humanité ne soit pas oublié. Trop souvent, les affiliés marxistes promettent un lendemain de joie et bonheur au prolétaire après le Grand Soir mais oublient d'être humains avant. La Révolution n'est pas un dîner de gala. Peut être, mais pourquoi devrait-on oublier de s'amuser ? Les Zapatistes dansent, chantent, font la fête et écrivent des poèmes. Ils n'oublient pas d'être humains même quand leurs territoires sont entourés de blindés et que les avions de combat vrombissent au-dessus de leur têtes. L'humour est une arme essentielle dans l'arsenal.

Ce tome se termine par des communiqués très sombres : les négotiations n'ont pas porté. Un nouveau président est élu avec des mécanismes de fraude massifs. L'armée se rassemble autour des territoires et un nouvel assaut n'est qu'une question d'heures. "Après un an, rien n'a changé, ici..."

Note : ceci est le premier de trois billets sur le sujet.