dimanche 18 janvier 2009

Le Manifeste de Unabomber

Je ne peux pas parler seulement de textes et d'ouvrages m'ayant plu. Je lis aussi des textes qui me déplaisent et ce sur une base hélas trop régulière. Ici, il s'agit d'un texte célèbre aux Etats-Unis quand il a connu son heure de gloire, mais relativement oublié aujourd'hui.

Son auteur s'appelle Theodore Kaczynski Ph. D. , mais il est plus connu sous le nom de Unabomber : ce type, professeur de math en université, a un jour craqué et commencé à laisser traîner des bombes sur les parkings d'aéroports et d'universités (UNinversity Airport bomber). Un total de 16 bombes pour 3 morts et une vingtaine de blessés. Une personne peu recommendable. Le FBI l'attrappa, après 17 ans de méfaits, lorsque son frère découvrit par hasard que Ted était Unabomber.

Ce type est dangereux et malsain, ne faites pas comme lui et ce blog ne soutient absolument aucune de ses actions qui sont démentes et criminelles, ainsi que condamnables. Cet avertissement était nécessaire, merci.

Tant qu'il était en cavale, il a utilisé la terreur pour faire publier un texte de 35 000 mots dans deux journaux américains : le Washington Post et le New York Times en 1995.

Industrial Society And Its Future (De la société industrielle et de son futur)
par Théodore "Unabomber" Kaczynski
En français : http://lanredec.free.fr/polis/UnabomberManifesto_tr.html
En anglais : http://en.wikisource.org/wiki/Industrial_Society_and_Its_Future

Ce texte relativement décousu est un manifeste néo-luddite voire anarcho-primitiviste. Les tenants du néo-luddisme soutiennent que les avancées technologiques sont désormais mauvaise pour la condition humaine. La date de l'inversion de la notion de progrès change en fonction du néo-luddite. L'anarcho-primitivisme est une attitude différente du néo-luddisme en cela que les anarcho-primitiviste pensent que la notion de civilisation est indissociable des notions d'aliénation de la personne que rejettent les anarchistes et prône donc le retour à une attitude primitive. Il s'agit d'une branche "dure" de l'anarchisme. Ayant ici déjà parlé des diverses formes de l'anarchisme, il y manquait cette variante-là (il en manque d'autres).

Le manifeste de Unabomber considère donc et déploie un argumentaire à l'encontre de la société industrielle, en lui proposant un futur apocalyptique d'aliénation de l'homme. Si le sujet et la conclusion peuvent être étudié, la construction argumentaire utilisée par l'auteur est fortement discutable. Le texte s'ouvre même sur la pétition de principe déclarant que la révolution industrielle avait été un désastre pour la race humaine.

Pour résumer, l'idée est que l'avancée technologique aura des conséquences non prévues pour les humains et que la sphère des libertés individuelles réduira comme peau de chagrin. Il en tire la conclusion qu'il ne faut pas perdre de temps et mettre fin à tout cela avant que les événements menant à l'avènement de Skynet (Terminator) ou de la Matrice (Matrix) n'aient lieu. Je caricature, mais seulement de manière très légère.

Si de grandes parties du texte relèvent, pour moi, du délirant ou du malsain, le fait est qu'à l'heure actuelle de nombreuses technologies se développent qui pourraient mettre en danger les libertés individuelles : drones de police, puces RFID, etc.

De mon point de vue, ce texte n'est intéressant que du fait de ses conditions de publication et de son auteur. On trouvera la même réflexion, mieux argumentée et moins délirante chez de nombreux autres auteurs, qu'il s'agisse d'études ou de science fiction : Fight Club, Le Meilleur des mondes, Matrix, etc. Ca ne manque pas. Autant faire l'impasse sur le manifeste, dont les quelques éléments intéressants sont repris de meilleure manière ailleurs, voir à ce sujet l'article de Wired.

De Kaczynski, on pourra toujours se pencher sur

Ship of Fools (La Nef des fous)
En anglais : http://www.sacredfools.org/CrimeScene/CaseFiles/S2/ShipOfFoolsStory.htm
En français : Nef des fous
En pièce de théatre : http://www.sacredfools.org/CrimeScene/CaseFiles/S2/ShipOfFools.htm
etc.

Il s'agit d'une fable racontant l'histoire d'un navire se dirigeant vers un désastre assuré. On s'en rend compte, mais l'équipage est tellement focalisé sur ses petits besoins immédiats que le capitaine détourne leur attention du grand malheur à venir en leur accordant leurs petits besoins mesquins.

mardi 13 janvier 2009

De l'échange de biens abondants

Tiens, je vais parler d'un texte encore plus court et encore plus obscur, et pourtant extrêmement intéressant, dont le sujet est un sujet clef en ces temps où l'information est une denrée dont le système de vente alimente les conversations. En effet, pour ceux qui s'intéressent un peu à l'informatique (et lire un blog tel qu'icelui est déjà un indice), vous n'ignorez pas toutes les fortes discussions concernant l'achat et la vente de culture numérisée : livres, musique, films, la liste est longue.

Une des notions clef autour de cette histoire est la rémunération de l'auteur mais surtout de ses intermédiaires car c'est surtout eux qui ont le plus à y perdre dans l'affaire.

Une autre des notions clef est la nature même du dit bien. Une musique, un film ou tout autre élément culturel est une information, une donnée. Notre économie est conçue, justement, autour de la notion d'économie. Oh la belle lapalissade. En fait pas vraiment. L'économie est la science de l'échange de biens basée sur la notion de rareté de ces biens. Plus un bien est rare et/ou demandé plus il est cher. Mais cette notion ne s'applique qu'à des biens finis. Par exemple : j'ai un bonbon, je donne ce bonbon, j'ai plus mon bonbon.
Dans le cadre de l'information, ce n'est plus vrai, car il s'agit d'un bien transfini. Par exemple : j'ai un renseignement, je donne ce renseignement, je n'ai pas pour autant un renseignement en moins. Je pourrai à nouveau donner (ou vendre) ce renseignement.
Ce bien est donc abondant une fois réalisé la première fois.

C'est là où la tentative d'appliquer la notion d'économie à ce genre de biens est viciée, car on se retrouve avec des noeuds à la tête pour tenter d'expliquer en quoi il est rare pour y appliquer les règles de l'économie. Et le seul moyen de le faire se trouve dans les biens connexes à mon information : production, transport, distribution. Mais pas au bien lui-même.

Or, un mp3, un divx, un logiciel libre, par le biais du net, n'a plus aucun des biens connexes, à part la plateforme de distribution (mais le P2P enlève cette notion) et le travail de l'auteur et de ses comparses, comme par exemple, l'équipe de tournage et de montage du film. Le réalisateur n'est pas le seul auteur d'un film. Donc la notion d'économie ne parvient plus à s'appliquer qu'à la phase de création du bien. Après, le bien est transfini. D'où tout la complexification, souvent biaisée, parfois abusive, de ce sujet. Alors que le problème est simple : ces biens sont transfinis, l'économie va donc avoir du mal à s'appliquer.

Tout ceci est expliqué dans un court essai, hélas en anglais (lien direct sur le titre) :
Agalmics : the marginalization of scarcity
par Robert Levin

C'est dans cet essai que l'auteur met en avant la notion d'agalmique, c'est à dire les règles gouvernant l'échange de biens abondants. L'inverse exact de l'économie. A partir de cette notion, des personnes douées dans le domaine de l'économie (hi hi) pourraient, peut être, réfléchir à une vraie solution pour gérer les biens transfinis d'une manière plus satisfaisante que les solutions proposées jusqu'ici, que je n'hésiterais pas à qualifier de décevantes. L'important étant de tenir compte de la nature même du bien.

A priori, on pourrait croire que ça ne s'applique qu'à l'information, mais si j'en crois les auteurs de science fiction, notre vie actuelle ne restera pas similaire pour toujours. Et parmi les éventualités proposées par ces auteurs, deux s'avéreront nécessiter l'agalmique plus que tout :
  • Dans le cas où on crée des "imprimantes à matière", c'est à dire une imprimante capable de fabriquer un canapé comme une lampe à partir d'un schéma téléchargé sur Internet, tout bien devient transfini. L'économie devient une notion obsolète
  • Dans le cas où l'humanité s'uploaderait dans un ordinateur géant, la notion d'économie n'aurait plus de sens.
Bien sûr, ces exemples sont purement science-fictionnels (ou dans un futur extrêmement lointain). C'était pour dire que non, les règles de l'économie ne sont pas "naturelles", ni "éternelles". La notion même d'économie n'est pas "éternelle" et est technologiquement dépassable. C'est juste que ce dépassement est extrêmement lointain.

Tout cela dépasse mon propos. L'idée était de signaler que la notion d'économie elle-même, à la base et dès aujourd'hui, s'applique mal aux biens informationnels.

Utilité au lecteur de gauche :
  • s'ouvrir un peu l'esprit à des possibilités nouvelles, surtout face aux nouvelles technologies
  • alimenter et étendre la réflexion sur la notion même d'échange des biens
Edition : on notera que l'album qui s'est le mieux vendu sur la plateforme Internet en 2008 est un album aussi distribué gratuitement, "Ghost I-IV" de Nine Inch Nails, qui a rapporté plus d'un million de dollars la première semaine à son auteur.

vendredi 2 janvier 2009

Taz, ce n'est pas que chez la Warner Bros

Pour continuer la célébration du bicentenaire de la naissance de Proudhon, une autre de mes lectures récentes est un livre de Hakim Bey intitulé "T.A.Z.". Oui, en ce moment, je suis plutôt sur des livres courts, et cet opus de Bey recueille la traduction de l'une des trois parties d'un livre plus fourni de l'auteur. Cependant, le concept des Temporary Autonomous Zones est un des concepts clef de la pensée de Bey (de ce que j'en sais, du moins, c'est-à-dire pas grand chose hélas).

Hakim Bey, de son vrai nom Peter Lamborn Wilson, est un personnage controversé chez les anars, car il propose un anarchisme si individualiste qu'il en devient apolitique (merci wikipedia). Bref, je ne connaissais que le nom de cet homme là, j'ai donc profité d'une vitrine de librairie achalandée pour découvrir que ses textes étaient traduits en français et à prix raisonnable. Soit.

T.A.Z. Zone Autonome Temporaire
de Hakim Bey
chez L'Eclat
ISBN : 978-2-84162-020-3

Comme son nom l'indique, Bey décrit dans ce livre, sans le définir car il juge que la définition se déduit naturellement de l'exemple, son concept de zone autonome temporaire (TAZ pour Temporary Autonomous Zone). Il s'agit d'une zone située dans le temps et l'espace où les philosophies libertaires s'appliquent de fait. Une sorte de paradis anarchiste discret, au sens mathématique, car spontané et temporaire.

En fait, ces T.A.Z. sont nombreuses. Un dîner est une T.A.Z. car il n'y a pas de lois, pas de hiérarchies : les interactions entre les convives ne sont dictées que par la propre éthique de chacun d'entre eux, dans une culture de politesse et de manières. Une flash mob ou certains festivaux (burning man, raves) sont aussi des T.A.Z. Certains lieux d'échange sur Internet sont des T.A.Z. (attention, le texte est assez ancien, donc la vision du web présentée date des débuts de l'Internet).

Le livre est l'étude de ces T.A.Z. au travers d'exemples historiques multiples, de l'utopie pirate jusqu'à l'Espagne anarchiste en passant par Makhno.

Utilité au lecteur de gauche :
  • La T.A.Z. permet de voir l'anarchisme en action et de découvrir des anarchies fonctionnelles sur des espaces discrets.
  • Le livre fait un petit récapitulatif d'exemples pratiques, mais c'est bien tout.